« Le suppléant » de Fabrizio Puccinelli.

Le suppléant.L’école est une petite maison séparée du village, section du collège d’Etat de Pietrapana. Les garçons restent emmitouflés dans leur manteau à cause du chauffage qui laisse à désirer. Il y a juste un petit poêle à bois. De temps à autre, lorsque le vent tourne, la pièce s’emplit de fumée. Les enfants viennent de maisons et de villages éparpillés sur une bonne partie de la montagne et ceux des premiers degrés en particulier sont souvent intimidés. Parfois ils s’amusent à décorer la classe de dessins et de cartes de géographie, mais le plus souvent ils la sentent étrangère comme tout ce que j’enseigne, menaçante et ennemie; et ils se rembrunissent, enveloppés dans leur écharpe. Ils haussent leurs épaules de temps à autre, comme des oiseaux perchés sur un fil quand il pleut.

Fabrizio Puccinelli, écrivain italien méconnu à l’existence fragile, fut pendant quelques années enseignant intérimaire. C’est fort de cette expérience qu’il fit publier en 1972 ce bref texte qui attira mieux l’attention sur son travail.

En quête d’histoires, plein de demandes à propos de moi-même, je me suis arrêté ici et là dans les villages, j’ai regardé autour de moi, comme cerné de nuit, en soulevant, vers les visages rencontrés, une lampe.

Discrète, toute en retenue, son écriture parait avoir été créée pour donner corps à ces qualificatifs. D’une plume qui documente son expérience d’enseignant, en en évoquant le quotidien rythmé par les saisons et les changements d’affectation, il semble moins rendre moins compte de ce qui s’y déroule que de ses manques. Comme si dire ce qui est présent permettait d’évoquer mieux l’absent.

comment furent tracées pour la première fois les limites de ce monde et découverts le rythme et la trame des histoires? Qu’en est-il du conteur et quelle est la disposition qui est à son origine?

En de discrètes métaphores, avec un sens éprouvé du rythme, alternant subtilement le factuel et le bucolique, l’intime et l’universel, tout en pudeur tendre et en quiète clairvoyance, il s’affirme en maître de l’évocation. Et nous, lecteurs, nous y découvrons, lovés dans la solitude de sa lecture – une lecture dont il parle si bien -, comme une voix enfin donnée au silence.

Et, dans l’entrelacs de plaisir et de terreur qui emplit la maison que nous habitons, éclipsant les portes du pouvoir et de la ruine, à tous peut-être nous est-il arrivé une fois de sortir, comme un enfant qui, la nuit, descend les escaliers dans le noir, attentif à ne pas se cogner aux meubles, sans bien savoir où il va, mais avec l’intention de ne jamais revenir.

C’est aux antipodes de l’effet facile. C’est un tout atteint avec du presque rien. C’est fragile. C’est beau. C’est indispensable.

Fabrizio Puccinelli, Le supléant, 2016, Héros-Limite, trad. Marc Logoz.

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