« L’épée des cinquante ans » de Mark Z. Danielewski.

epee des cinquante ansTarff, Ezade, Iniedia, Sithiss et Micit sont cinq orphelins conviés, lors d’une fête donnée à l’occasion de l’anniversaire des 112 ans de Mose Dettledown,  à écouter le récit qu’un raconteur d’histoire fait de ses pérégrinations.  Le tout sous le regard de Chintana et de Belinda Kite, rivales amoureuses.

Mais ce que je vais vous montrer, je dois aussi vous le dire.  Je n’ai que moi-même, là où je suis allé, ce que j’ai trouvé et maintenant ce que je rapporte.

Montrer.  Dire.  Comme il l’avait déjà tenté dans La maison des feuilles ou O Révolution, Mark Z. Danielewski utilise tout l’espace qu’offre le livre pour signifier.  Le texte est parsemé de reproductions de broderies en couleurs.  Chaque phrase est placée entre guillemets de couleur différente pour illustrer qui prend la parole.  Tout fait sens.

Imaginez en chaque son le soupir d’une unique chose périssant et qu’au lieu que les sons viennent l’un après l’autre, il s’exhalât un soupir de toutes choses en même temps.  Quel serait ce son?

C’est ce son que parvient à traduire l’écriture de Danielewski.  Rarement une écriture aura à ce point réussi à faire corps avec les voix qu’elle est sensée déposer sur la page.  Tels les fils de la broderie tissant en vis-à-vis des images, tour à tour soliste, duo, quattuor ou chœur, la phrase de Danielewski se fait partition.  Et cela, sans que jamais le lecteur ne soit laissé sur le bord du chemin.

(mais y a-t-il une brise si je peux encore la sentir sur mon visage?)

Formelle, sans conteste.  Mais jamais artificielle.  Car utilisant l’artifice a fin de signifier mieux.

muet et sans forme mais venant s’ajouter allez savoir pourquoi à quelque chose dont Chintana ne savait dire que le mot.

Ce qui intéresse l’artiste est ici ce quelque chose, quel qu’il soit, dont on ne connaît que des parties éparses et dont il conçoit être de sa compétence d’en traduire une image complète.  Le mot jeté sur la page ne suffit plus.  Il y faut organiser ce qui lie ce mot au lecteur.  Car, après Joyce, Faulkner, Simon, Lowry, on sait que c’est en lui que ça se passe.  Et que ce qu’on a à dire ne peut faire l’économie d’à qui on le dit.  L’Epée des cinquante ans est une histoire d’ogre moderne, de rivalités amoureuse, de papillon, mais aussi et surtout une polyphonie dont la sublime beauté ne trouve à éclore que dans l’interprétation qu’en joue le lecteur.

Et pouvez vous imaginer ce que ça fait de marcher sur l’ombre d’un jour?  Moi, je ne le puis point, mais n’en ai point besoin.

Mark Z. Danielewski, L’épée des cinquante ans, 2013, Denoël.

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