« Correspondances » de Mallarmé.

Peu d’œuvres si peu lues auront eu autant d’influence que celle de Stéphane Mallarmé. Alors que de son temps déjà sa poésie était considérée par beaucoup comme « élitiste », ou « illisible », ou « incompréhensible », on ne peut pas dire, de nos jours, que cette oeuvre soit devenue plus populaire. Cela alors qu’elle a infusé très profondément dans la pensée du vingtième siècle, au-delà même des frontières strictes de la poésie. Qu’on s’en rende compte ou non, la poésie mallarméenne nous constitue.

L’édition en un seul volume des lettres de l’auteur peut être l’occasion de découvrir « à hauteur d’homme » un auteur qu’on a trop tendance à confiner dans une sorte d’Olympe inatteignable de la pensée, où il vaquerait solitaire à la recherche désespérée d’une perfection saisissable de lui seul. Dans ses lettres, il est époux et père. Il est ami, aussi. Il est insatiablement curieux. Il est profondément ancré dans un temps et une époque dont il comprend et ressent les enjeux politiques et sociaux. Sa correspondance nous expose ses doutes, ses questions, ses douleurs. Le poète du sonnet en x est un professeur chahuté, un homme de famille sans histoire, un père blessé dans sa chair. Il est aussi un homme qui fait le choix de l’amour contre l’argent, de la création contre la renommée. Aux antithèses de l’image fantasmée de l’artiste coupé du réel, du pédant hermétique, le « poète de l’art pour l’art » se découvre dans ses lettres comme un infatigable travailleur, qui, de doute en doute, aura cherché sa vie durant à parfaire une intuition géniale et révolutionnaire.

Et sans doute, l’émotion ressentie à la lecture de ces lettres n’est-elle pas étrangère à ce que le lecteur y perçoit un sacrifice permanent de son auteur. Car Mallarmé n’avait pas le temps d’écrire des lettres. Père, époux, professeur, lecteur avide, ami fidèle, d’une santé fragile, chaque lettre était arrachée au temps qu’il devait consacrer à façonner son oeuvre. Ce sacrifice le rend d’autant plus proche à tous ceux qui savent ce qu’un seul bon poème demande de travail. Et ainsi, la recherche parmi cette correspondance des indices de germination ou d’évolution d’une des œuvres les plus remarquables de l’esprit humain, est-elle traversée d’intense moments de fraternité.

Stéphane Mallarmé, Correspondance 1854-1898, 2019, Gallimard.

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