Vieux brol 12 : « Le livre de l’intranquillité » de Fernando Pessoa.

fernando_pessoaNe subsiste bien souvent de certains livres, dans nos esprits assommés par la « nouveauté  » , qu’une vague idée, que le souvenir lointain (et bien souvent déformé) de commentaires.  N’en surnage que l’impression d’un déjà connu, d’un déjà lu, qui les fait irrémédiablement verser dans les limbes de ce qui n’est définitivement plus à lire.  D’où l’idée de cette série de chroniques de retours aux textes lus.  Sans commentaires.

Il me faut choisir entre deux attitudes détestées – ou bien le rêve, que mon intelligence exècre, ou bien l’action, que ma sensibilité a en horreur ; ou l’action pour laquelle je ne suis pas né, ou le rêve pour lequel personne n’est né.  Il en résulte, comme je déteste l’un et l’autre, que je n’en choisis aucun, mais comme, dans certaines circonstances, il me faut bien ou rêver, ou agir, je mélange une chose avec l’autre.

Passer des fantômes de la foi aux spectres de la raison, c’est simplement changer de cellule.

Ils ont tous comme moi, une âme exaltée et triste.  Comme je les connais bien!  Employés de magasin, garçons de bureau ou petits commerçants ; d’autres encore sont ces Tartarins de café, généreux sans le savoir, dans l’extase de leur discours égotiste, satisfaits dans leur silence d’égoïstes et d’avares sans trésor à garder.  Mais tous sont poètes – les pauvres! – et traînent à mes yeux, comme je le fais aux leurs, le fardeau misérable de notre commune incongruence.  Ils ont tous, comme moi, leur avenir derrière eux.

Mes pauvres compagnons, qui rêvez tout haut, comme je vous envie et vous méprise!

Bienheureux ceux qui ne confient leur vie à personne.

Nous dormons la vie.

Et il existe peut-être d’autres dimensions, où nous vivons également d’autres aspects tout aussi réels de nous-mêmes.

Aussi n’aurai-je pas parlé ; j’aurai dit.

Qu’ils obéissent donc à la grammaire, ceux qui ne savent penser ce qu’ils sentent.

sentir aujourd’hui la même chose qu’hier – c’est se souvenir aujourd’hui de ce qu’on a ressenti hier, c’est être aujourd’hui le vivant cadavre de ce qui fut hier la vie, désormais perdue.

Le mieux, le plus digne de la pourpre, c’est d’abdiquer.

Dire!  Savoir dire!  Savoir exister par la voie écrite et l’image mentale!  La vie ne vaut pas davantage.  Le reste ce sont des hommes et des femmes, des amours supposées et des vérités factices, subterfuges de la digestion et de l’oubli, êtres s’agitant en tout sens – comme ces bestioles sous une pierre qu’on soulève – sous le vaste rocher abstrait du ciel bleu et dépourvu de sens.

Etre compris, c’est se prostituer.

Et puis, tous les révolutionnaires sont stupides.

Il est des départs de soleil couchant plus douloureux pour moi que la mort d’un enfant.

Raconter, c’est créer, car vivre ce n’est qu’être vécu.

Je serai toujours un homme de la rue des Douradores – comme l’est l’humanité tout entière.

Je suis une étagères de flacons vides.

Je gis la vie.  Rien de moi n’interrompt absolument rien.

Le fait divin d’exister ne doit pas être livré au fait satanique de coexister.

Mais les autres, qu’ont-ils donc en commun avec le monde que je porte en moi?

Je voudrais que la lecture de ce livre vous laisse l’impression d’avoir traversé un cauchemar voluptueux.

L’immortalité est une fonction du grammairien.

Ma patrie c’est la langue portugaise.

Le seul vice vraiment noir, c’est de faire comme tout le monde.

Voir c’est avoir vu.

Côtoyer ses joies et ses angoisses comme on côtoie une personne sans intérêt.

Avoir la pudeur de soi-même.

On dirait que ma vie entière, et jusqu’à ma vie mentale, n’est qu’un long jour de pluie, où tout est non-événement et pénombre, privilège vide et raison d’être oubliée.  Je me désole en haillons de soie.  Je m’ignore moi-même, en lumière et ennui.

Je n’écris pas en portugais.  Je m’écris moi.

Où sont donc les vivants?

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité, 1999, Christian Bourgois, trad. François Laye.

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