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« Marcher droit, tourner en rond » de Emmanuel Venet.

 

VenetLe syndrome d’Asperger, atypie du développement appartenant au spectre de l’autisme et qui ressemble à l’idée que je me fais du surhomme nietzschéen,me rend asociognosique, c’est-à-dire incapable de me plier à l’arbitraire des conventions sociales et d’admettre le caractère foncièrement relatif de l’honnêteté. Je suis tout à fait prêt à reconnaître mes déficiences dans ce domaine, d’autant qu’elles me donnent droit à une pension modeste mais bienvenue. Cependant il me semble qu’il serait plus sain de préférer la vérité au mensonge, et que l’humanité devrait plutôt s’attacher à dessiller les crédules et à punir les profiteurs qui entretiennent le climat de duplicité et de tromperie dans lequel, pour notre plus grand malheur, notre espèce baigne depuis la nuit des temps.

Le narrateur de Marcher droit, tourner en rond est atteint du célèbre mais mal connu syndrome d’Asperger. Assistant à l’enterrement de sa grand-mère – l’oraison, ce climax du mensonge -, celui-ci est l’occasion pour lui de revenir sur l’histoire de sa famille et des rapports que lui-même entretient avec elle. On y découvre un homme de quarante cinq ans qui, – maladie oblige – ne s’embarrassant pas d’inhibition, peut passer au crible de la seule rigueur les mensonges et dissimulations dont chacun pare le réel pour le rendre un tantinet plus vivable.

Lorsque je me laisse atteindre par le bombardement médiatiques de demi-vérités, de trucages, d’amalgames et de bobards éhontés, je me sens vivre au cœur d’un labyrinthe dont rien ne me prouve qu’il possède une issue.

D’un éclat de rire à l’autre – car la manifestation sans fard du vrai est toujours drôle là où il y a unanimité pour le dissimuler -, nous progressons dans le dévoilement d’une famille, comme de nos propres et multiples arrangements avec la réalité. Le vrai gêne. Il embarrasse. Mais, in fine, c’est moins la vérité qui nous gêne que de se voir révélé notre assiduité à l’enterrer. C’est cette complexité des moyens que nous mettons en oeuvre pour nous mentir, combinée à notre foi aveugle en eux, qu’il nous est surtout intolérable de nous voir rappelées. Et dont le syndrome d’Asperger est à la fois le messager comique et la victime tragique. Car cette rigueur carrée du réel envisagé sans apprêt, ce vrai que nous avons élevé au rang d’idéal, est-il seulement souhaitable? Ce que nous révèle aussi la logorrhée iconoclaste d’un syndrome d’Asperger – symbole de la vérité, mais que nous conjoignons à celui du handicap… -, n’est-ce pas qu’à vouloir absolument marcher droit, on se condamne à tourner en rond? L’exercice de la vérité n’est décidément pas chose si simple…

le réel ne génère qu’un douloureux sentiment d’absurdité.

Emmanuel Venet, Marcher droit, tourner en rond, 2016, Verdier.

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