« Quitter Londres » de Iain Sinclair.

 

Des  choses encore plus anciennes, toujours imbriquées les unes dans les autres, proliférant comme les voûtes labyrinthiques que je croyais distinguer dans la lumière grise et poussiéreuse, à l’infini.

Londres. Depuis de nombreuses années maintenant, Iain Sinclair parcourt la capitale anglaise en tout sens. Dans les « droites lignes » de la psychogéographie, prétextant d’une autoroute enserrant Londres (la M25 dans London Orbital) ou d’un métro qui en bouleverse l’habitat (London Overground), il dépèce la ville anglaise, en exhume les anecdotes oubliées, les souvenir aujourd’hui niés. Au gré de ses rencontres ou de sa mémoire, c’est une ville autre qui prend forme sous nos yeux.

C’était l’éperon de The Shard, plus haut que toutes les grues des chantiers de moindre envergure, qui paraissait anachronique et absurde. Quand la folie de Renzo Piano s’écroulera et sera remplacée par quelque chose de plus grandiose, de plus fou, les bancs en bois et les hommes qui y sont juchés seront toujours là.

Un meurtre aussi sordide qu’oublié qui devient l’occasion d’explorer l’architecture urbaine. La déambulation passée d’un écrivain (Sebald, Crane, Ballard…) qui permet, replacé dans ses traces, une lecture décalée de l’Histoire. Un fait politique majeur (la mort de Tatcher, l’élection de Trump, le Brexit…) qui permet de révéler, par la négation têtue ou inconsciente qu’on lui confronte ou la surenchère médiatique avec laquelle il déferle et imbibe tout, les profondes failles qui séparent le local du global, le réel vécu de la fiction rêvée. Les chiffres de l’augmentation ou de la baisse des loyers qui attestent que « l’argent élargit la ville ». Une performance d’artiste qui permet de replonger dans les origines architecturales de lieux engloutis par la finance. Ce qui fascine chez Iain Sinclair, c’est non pas que tout lui soit un outil – cela, finalement, à l’heure du world wide web, est à la portée de tout curieux -, c’est qu’il parvienne à ne jamais se perdre dans l’écheveau complexe que ce tout forme et à y rester comme englué.

Ce que je comprenais aujourd’hui, sous la pluie continue, en cette matinée de démence politique, tout en remontant une voie ferrée inopérante vers un lieu où nul n’avait envie d’aller, c’est que les marches que nous nous sentons tenus d’entreprendre sont la seule histoire. Les marches sont une autobiographie sans auteur.

Le Londres de Iain Sinclair n’est ni Londres ni ne prétend l’être. Il est à la fois le réceptacle de tout ce qui s’est passé dans le Londres « réel » et caisse de résonance de tout ce qui est advenu autre part. Le Londres de Iain Sinclair est une grille de lecture de ce qui nous entoure et de ce qui menace de nous submerger.

Iain Sinclair, Quitter Londres, 2018, Inculte, trad. Maxime Berrée.

Lien Permanent pour cet article : http://www.librairie-ptyx.be/quitter-londres-de-iain-sinclair/

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.