« Mère et fils » de Anne De Gelas.

aller chercher la tendresse là où justement elle ne sera pas.

Une femme perd son compagnon avec lequel elle avait un fils. De ce deuil, elle fait un livre mêlant photographie argentique, dessins et textes. Le livre s’appelait L’amoureuse. C’était en 2013. Quatre ans plus tard, elle fait un autre livre, Mère et fils.

MÈRE ET FILS – vous devriez vous révolter de la banalité de ces mots accouplés – ils se cognent et se caressent

L’absence définitive de l’autre (le père, le compagnon) crée des manques. Le désir que cette absence laisse sans son exutoire originel n’en demeure pas moins. Sans doute même cette impossibilité de s’y laisser glisser « normalement »rend-elle ce désir plus fort, plus prégnant, et l’absence qui le génère plus sensible encore. Celle qui reste peut alors nier cette absence et le désir toujours déçu qui en découle. Elle peut chercher à le taire en elle, à l’étouffer. A en refuser et la douleur et les tentatives de la biaiser en dissimulant ce désir inassouvi sous les liens qui l’unisse au fils. Ou alors, aux antipodes de la volonté de l’ignorer ou de la combler à tout prix, elle peut faire de cette absence quelque chose. Non pas donc que quelque chose – un projet, une distraction, etc. – serait pensé qui viendrait remplir le manque laissé. Mais que ce manque soit pensé comme ce qui peut imbiber tout le reste et lui donner un sens renouvelé.

TRAVAILLER SANS CESSE SUR CE QUI REMUE LE VIVANT

Le désir sensuel d’une mère quittée versus celui de l’enfant qui devient jeune homme. L’ambivalence de ce que peuvent revêtir des touchers. Continuer à être mère devant le rappel permanent de son désir sans exutoire. Chérir un souvenir sans s’y perdre ni, surtout, l’autre avec soi. Dans les regards du fils – souvent francs, directs, dirigés vers le lecteur – ou de la mère – souvent fuyants, voilés, doutant -, dans les mains – qui touchent, caressent, cachent -, dans les rêves que la mère transcrit – souvent violents, âpres -, dans les dessins – où, souvent, en traits simples, l’absence est rendue dans toute sa force -, dans ses allusions à l’histoire de l’art – discrètes et subtiles -, dans sa narration – impeccable, précise – Mère et fils « sauve un fils de la fureur d’une mère » tout en transformant ce sauvetage en une oeuvre esthétique inoubliable. Anne De Gelas est de ces magiciennes qui font de l’absence une matière palpable…

Anne De Gelas, Mère et fils, 2018, LOCO.

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