« Politique de l’autonomie musicale » de Lydia Goehr.

Politique de l'autonomie musicaleQu’est ce que le purement esthétique?

Le formalisme, en musique, est cette tendance qui porte à considérer le sens musical comme ne résidant que dans « des formes sonores en mouvement ». En clair, pour ses tenants, la musique serait en dehors du reste, comme un langage auto-référent sans conséquences sociales ou politiques. Ce qui, sur le terrain de la censure, put d’ailleurs s’avérer particulièrement pratique : « Comment pouvez-vous accuser ma musique de faire oeuvre de subversion alors même que toute musique n’entretient de rapport qu’avec elle-même, que, stricto sensu, hors d’elle-même, elle ne signifie rien! ».

En puisant abondamment chez Wagner, mais encore Schopenhauer ou Rousseau, en s’intéressant à l’histoire du rôle dévolu à l’interprétant, en envisageant possiblement le chant non simplement comme geste esthétique mais comme, peut-être, la première expression publique d’une parole et donc un geste éminemment politique, l’intérêt du travail de Lydia Goehr est tout d’abord, aux antipodes de la volonté formaliste, de sortir la musique de tout carcan. Pour elle, la musique n’est pas un ailleurs, radicalement séparé du monde, n’en désirant rien et bâtissant son autonomie sur ce clivage définitif. Elle en est – ou, du moins gagnerait-elle à ce qu’on la voie comme telle – comme en exil. C’est-à-dire issue de ce monde, en rapport avec lui, mais détachée, distincte, s’en sachant une émanation, mais ayant gagné dans la distance entre le monde et elle une autonomie qui lui octroie une place propre où se développer ainsi qu’une légitimité d’y mieux revenir. A ceux qui ne cherchent à construire à la musique un espace esthétique propre qu’en la séparant de tout, elle oppose le démenti subtil d’une autonomie émergeant du monde même tout en lui conférant une nécessaire distance critique.

Mais aussi, à la croisée des disciplines – ce croisement dont elle voit la musique comme un des possibles -, Politique de l’autonomie musicale est aussi, malgré certaines longueurs, maladresses et gimmiks universitaires, un intéressant exercice anti-dialectique. Entre deux positions radicalement antinomiques, elle ne cherche jamais à imposer l’une ou l’autre, ni à construire une synthèse des deux, « solutionnant » leur opposition. Partant du principe que sortir à tout prix du dualisme ne peut se faire sans se défaire de sa richesse, elle nous rappelle la vitalité des oppositions. Et qu’à la pauvreté – conceptuelle s’entend -, le conflit est peut-être préférable.

Lydia Goehr, Politique de l’autonomie musicale, 2016, La Rue Musicale, trad. Elise Marrou & Lambert Dousson. 

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